Dans la lignée des "Leçons de Lyon" : une oeuvre de christianisation (2/2)
Le deuxième point de christianisation relève de l’aspect docétiste de la doctrine de Martinès de Pasqually.
En effet, la christologie martinésienne doit être revue et corrigée dans son ensemble, l’auteur du Traité de la Réintégration considérant le Christ non pas comme l’incarnation du Verbe - c'est-à-dire Dieu fait chair et épousant la condition humaine - mais comme l’esprit saint de Dieu venant parmi les hommes « faire jonction » avec des Elus. Cet esprit de Dieu, appelé tantôt Hély, tantôt Rhély ou bien encore Messias ou Christ, vient ainsi dans le monde à plusieurs époques de l’histoire de l’homme « faire jonction » avec les Elus de Dieu qui sont Abel, Enoch, Noé, Melchisédech, Hiram, Zorobabel et parfaire l’œuvre avec le Christ. Ces personnages sont appelés temples par Martinès, l’esprit de Dieu Rhély étant venu les habiter. Notons la distinction qui est alors faite entre Rhély et la personne du Christ qui est pour Martinès le dernier temple de Rhély. Le Christ est donc comme abaissé au rang d’Elu ou sage, certainement le plus grand. Il est au mieux homme-dieu et homme divin, nouvel Adam par « l’incorporisation du Christ en qualité d’homme dieu de la terre dans un corps matériel »[1]. Mais à aucun moment il n’est considéré qu’Il est Dieu incarné venu habiter parmi les hommes, Dieu et homme à la fois ayant ainsi en lui la double nature divine et humaine[2].
Pourtant Martinès enseigne que le Christ, ou plutôt Rhély, créateur de toutes choses à l’exception de l’unité divine, porte en lui tous les nombres de la création à l’exception de l’unité, qui vient du Père, et par conséquence porte 44 = 8 qui est le nombre de double puissance quaternaire[3]. Double puissance car puissance propre de son verbe de création qui s’ajoute à la puissance divine qu’il possède en ce qu’Il connaît le principe de son verbe qui est le Père et qu’Il participe pleinement de ce principe ou comme le dit Jean-Baptiste Willermoz « double puissance qui appartient au Fils divin qui manifeste celle du Père dont il est l’image et opère la sienne propre »[4]. Mais ce que ne dit pas Martinès c’est que ce Fils est Dieu et donc possède en lui le caractère du quaternaire divin car Il est l’image parfaite du Père. Martinès qualifie aussi la classe d’anges huiténaires comme agents du Verbe - ce qui le rapproche des judéo-chrétiens qui appellent parfois le Christ l’Ange de Dieu - associant ainsi les ministres du Verbe au Verbe lui-même qui en est le chef.
Mais le Christ n’est ni esprit de Dieu, ni ange de Dieu, Il est Dieu et c’est par Lui que nous contemplons le Père dont il est l’image parfaite. Tout ceci est affirmé avec clarté dans la 6ème Instruction du 24 janvier 1774 de Jean-Baptiste Willermoz qui enseigne au sujet du Christ : « Cet être divin voyant sa création attaquée par les esprits pervers dont les triomphes sur les mineurs augmentaient tous les jours, vint lui-même en personne, de sa propre volonté, la défendre et opérer sur eux cette molestation pour laquelle l'homme avait été créé, les dépouiller de leur proie, les resserrer dans une plus grande privation et abréger le cours des travaux pénibles que les mineurs réintégrés et non réconciliés avaient encore à opérer. Il prit naissance dans le sein d'une femme vierge comme le commun des hommes. Il y vint revêtu de toutes ses vertus et puissances, mais il y fut conçu sans aucune opération physique matérielle, ce qui fait une immense différence avec la conception d'Abel opérée par Adam selon les lois physiques de nature. »
Enfin, l’aspect docétiste est renforcé par l’ignorance affichée de Martinès de la souffrance de Jésus-Christ lors de sa passion. Et il ne peut en être autrement puisque Martinès ne considère pas le Christ comme homme et Dieu mais comme esprit de Dieu venu habiter un homme. Or cet esprit ne peut pas souffrir et se retire finalement, laissant la souffrance à l’homme qui était son temple. Martinès parle de la dernière opération divine du Christ par l’effusion du sang mais jamais de souffrance de l’homme par son renoncement à la vie lors de sa dernière veillée à Getsémanie et souffrance dans sa chair par sa cruxifiction, sacrifice ultime de sa volonté et de sa liberté par amour pour les hommes. Et c’est pourtant ce renoncement à sa propre volonté, cette acceptation de la croix par amour qui est la clé de toute vie chrétienne et qui fera un jour de chaque frère un véritable réceptacle du Christ et de l'Esprit Saint c’est à dire un Réau+Croix.
[1] Extrait du Catéchisme de Maître Coën
[2] Jean-Baptiste Willermoz corrigera cette erreur de façon magistrale dans son Traité des deux natures divines et humaines, réunies indivisiblement pour l’éternité et ne formant qu’un seul et même être dans la personne de Jésus-Christ Dieu et homme Rédempteur des hommes et souverain Juge des vivants et des morts - Cahier de doctrine D3 - Fonds Kloss.
[3] En effet 2+3+4+…+9 = 44
[4] Extrait du Cahier de doctrine D9 - Fonds Kloss