Origène et le théomorphie martinésiste
En marge de notre étude sur l’image et la ressemblance il paraît intéressant de considérer deux apports complémentaires qui nous sont offerts par Origène dans ses Homélies sur la Genèse.
Le premier est relatif à la puissance de l’homme dont l’Ecriture dit qu’il doit dominer sur toute créature (Gen. 1, 26). L’explication allégorique qu’Origène donne de ce passage de la Genèse est le suivant :
« Nous avons déjà interprété cela au sens littéral dans le passage où Dieu dit : « Faisons l’homme, etc., qu’il domine sur les poissons de la mer et sur les oiseaux du ciel, etc. » Mais, au sens allégorique, ce qui me semble indiqué par les poissons, les oiseaux, les animaux et les êtres de la terre qui rampent, c’est ce que nous avons déjà dit plus haut, c’est-à-dire, soit tout ce qui procède de l’âme et de la pensée du coeur, soit tout ce qui provient des désirs corporels et des mouvements de la chair. Les saints qui sont fidèles à la bénédiction de Dieu tiennent tout cela sous leur domination, car les saints conduisent l’homme tout entier selon la volonté de l’esprit ; les pécheurs au contraire sont sous la domination de ce qui provient des vices de la chair et des plaisirs du corps. »
De même, considérant que Dieu fit l’homme à son image et qu’homme et femme il les créa (Gen. 1, 27), Origène donne une interprétation allégorique tout à fait intéressante dans le même ouvrage :
« Notre homme intérieur est constitué d’un esprit et d’une âme. On peut faire de l’esprit le mâle et de l’âme la femelle. Si ces deux éléments s’entendent et s’accordent entre eux, par leur union ils croissent etmultiplient ; ils engendrent des fils : les bons mouvements, les idées et les pensées profitables, au moyen desquels ils remplissent et dominent la terre. Autrement dit, ayant maîtrisé le sens de la chair, ils l’inclinent à de bons desseins, et ils le dominent en ne tolérant aucune insurrection de la chair contre la volonté de l’esprit. Si donc il arrive que l’âme qui est unie à l’esprit et pour ainsi dire mariée avec lui, s’écarte vers les plaisirs corporels et se porte aux jouissances de la chair, si tantôt elle semble obéir aux salutaires avertissements de l’esprit et tantôt cède aux vices charnels, cette âme souillée par l’adultère du corps, ne peut pas croître ni multiplier. »
Ces deux textes nous ramènent directement à la doctrine de Martinès de Pasqually. En effet, tous deux parlent de la maîtrise des penchants de l’âme de l’homme qui est une condition nécessaire pour lui afin de conserver l’image et d’atteindre à la ressemblance.
Conserver l’image qui est la faculté de commandement justement en commandant et en dominant chaque créature, terrestre comme céleste nous l’avons vu précédemment (Image et ressemblance 3/5). Et comment l’homme pourrait-il conserver cette faculté de commandement, cette puissance de domination sur toute chose créée s’il ne peut, de lui-même, dominer ses propres penchants qui peuvent tendre à l’éloigner de son créateur ? L’esprit dont il est ici question doit être entendues comme le moyens par lequel l’homme lit dans la pensée divine, reçoit sa volonté mais aussi exerce sa la libre volonté par rapport à cette volonté divine. C’est donc ce qui lui confère la possibilité de s’incliner vers ou contre cette volonté divine. La chair et l’âme quant à elles ne sont ni chair corporelle, ni âme animale. Il s’agit ici du moi de l’homme, de son ego qui le fait créature a part entière distincte de son créateur, de l’âme du cœur qui est la porte d’accès à cet ego et qui donne à l’homme une réceptivité aux tentations des intellects mauvais émanés des esprits de prévarication. Si l’homme avait été émancipé esprit pur il n’aurait pas eu cette « vulnérabilité » mais n’aurait pas non plus eu de liberté car n’aurait pas eu de faculté de choix n’étant soumis qu’à l’expression de la volonté divine.
Il nous faut aussi comprendre dans ces textes que cette vulnérabilité et cette attente dont Dieu fait part d’une maîtrise parfaite de l’âme par l’esprit expriment le souhait de Dieu de voir l’homme accéder à la parfaite ressemblance par ses propres efforts. Aussi, comme nous l’avons vu (Image et Ressemblance 5/5) c’est par la satisfaction de cette attente que l’homme se grandira et c’est ainsi bien par amour que Dieu créa l’homme vulnérable afin qu’il obtint par son propre mérite cette ressemblance et qu’il en soit ainsi rendu encore plus grand.