Le bon Samaritain et le bon compagnon
Le calendrier liturgique proposait cet été la parabole du "bon Samaritain" selon l'Evangile de Luc [1].
De nombreux Pères de l'Eglise ont livré une exégèse de cette parabole, en particulier Origène, voyant dans la descente du voyageur de Jérusalem à Jéricho la chute d'Adam et son expulsion de l'Eden vers ce monde ; dans l'attaque des brigands, celle des forces funestes des passions qui tiraillent maintenant l'âme ; dans les blessures du pèlerin, l'âme et le corps abîmés, dégradés et affaiblis par la chute et plus généralement l'image divine défigurée en l'homme déchu.
Ils ont reconnu l'incarnation du Christ dans le cheminement du bon Samaritain sur la même route, Christ rejeté de tous comme les samaritains l’étaient des juifs, qui vient penser les blessures avec l'huile consacrée du baptême et de la chrismation, véritable onction d’élection des réconciliée en Dieu, et le vin de l'eucharistie qui est la véritable nourriture spirituelle. Et pour ces mêmes Pères, le Christ bon Samaritain vient endosser la condition humaine en partageant sa monture avec l'homme pour l'amener vers l'auberge où il sera pleinement soigné. Ils ont vu dans cette auberge, l'Eglise et dans les deniers remis a l'aubergiste, le Père et le Fils qui viendront soutenir l'Eglise qui recevra dans la vie future plus encore comme résultat de sa bienfaisante action.
Le martinésime, en tant que voie initiatique chrétienne, partage bien évidemment cette interprétation allégorique tout en proposant des variantes exemptes des aspects sacramentaux - ou presque - et ecclésiologiques de l'exégèse patristique traditionnelle.
L'exégèse martinésienne, oserons-nous dire, se basera aussi quant à elle sur les fondements doctrinaux de ses écrits fondateurs et en particulier du Traité de la Réintégration du Grand Souverain de l’Ordre des Chevaliers-Maçons Elus Coëns de l’Univers, Martinès de Pasqually.
Le martinésiste chrétien pourra donc voir dans l'huile le sceau protecteur et réconciliateur du Christ sur ceux qui le suivent, ce sceau dont Martinès nous dit :
« L'ange qui parut à Agar et à Ismaël, qui rassasia leur faim et leur soif et qui leur indiqua l'endroit où l'Eternel avait fixé leur demeure, nous rappelle la grâce que l'Eternel accorda à Caïn et à sa soeur, en les faisant marquer sur le front par son ange [2] du sceau invincible de la Divinité, ce qui annonçait à l'un et à l'autre qu'ils avaient obtenu miséricorde du Créateur et qu'ils jouiraient encore une fois de la nourriture spirituelle divine qui leur avait été retirée par rapport à leur crime. » (Traité, 163)
Il pourra de même voir dans le vin la connaissance des mystères et les prémices de la participation a la vie divine de celui qui sera réconcilié et réintégré par le Christ. Vin qui comme dans le cas de Noé, parfait Élu et type eschatologique du Christ dans son second avènement [3], s'enivre dans sa tente de l'ivresse de la félicité divine que procure la parfaite connaissance et l'élection par alliance avec l'Eternel, c'est à dire la participation à la vie divine et même plus encore la déification qui est la nature divine donnée en partage à l’homme.
Mais revenons à notre parabole.
Les enseignements martinésiens étant baignés d'une angélologie particulière a Martinès, bien que présentant de nombreuses analogies avec les angélologies hébraïques ou chrétiennes traditionnelles dans les rôles des différents ordres, les martinésistes verront donc aussi dans l'aubergiste l'esprit bon compagnon qui est donne a chaque homme, qui le guide et le soutient tout au long de sa route. Esprit bon compagnon qui agissant sur la demande du Christ ne cessera de prodiguer ses bons soins a tout homme qui se confiera-ou plutôt sera confié a lui. Pour mener à bien son service, cet aubergiste angélique a reçu comme deniers la grâce des énergies divines et des dons de l'Esprit qu'il répand sur l'homme par ordre de Notre Seigneur.
Mais alors, l'ange étant un être spirituel pur recevant toute illumination et tous biens de l'Eternel, que pourra-t-il lui être donné de plus s'il accomplit correctement sa mission? Pour apporter des éléments de réponse à cette question il est important de bien considérer que les ordres angéliques furent tous affectés par la chute. Et même si postérieurement à la prévarication de Lucifer les esprits restés fidèles à Dieu, ou ayant été émancipés depuis hors du sein de la divinité, conservèrent presque intégralement leurs vertus et puissances, ils les conservèrent par grâce et volonté divine et non plus par nature originelle au sein du cercle divin. Martinès écrit à ce sujet :
« Les noms de ces quatre classes d'esprits [émanés à l’origine] étaient plus forts que ceux que nous donnons vulgairement aux Chérubins, Séraphins, Archanges et Anges, qui n'ont été émancipés que depuis [la prévarication des premiers esprits].» (Traité, 3)
et encore :
« Ces chefs spirituels divins ont-ils conservé leur premier état de vertu et puissance divine après leur prévarication ? Oui, ils l'ont conservé par l'immutabilité des décrets de l'Eternel, car si le Créateur avait retiré toutes les vertus et puissances qu'il a mises réversibles sur les premiers esprits, il n'y aurait plus eu d'action de vie bonne ou mauvaise, ni aucune manifestation de gloire, de justice, de puissance divine sur ces esprits prévaricateurs. ». (Traité, 4)
Mais Martinès rajoute par la suite :
« [Pour te faire connaître] le changement que le crime des démons opéra dans les actions et les opérations des habitants de l'immensité [divine], je te dirai avec vérité d'après l'Eternel, qu'à peine les esprits pervers furent bannis de la présence du Créateur, les esprits inférieurs et mineurs ternaires reçurent la puissance d'opérer la loi innée en eux de production d'essences spiritueuses, afin de contenir les prévaricateurs dans des bornes ténébreuses de privation divine. En recevant cette puissance, ils furent sur-le-champ émancipés ; leur action, qui était pure spirituelle divine, fut changée aussitôt que l'esprit eut prévariqué ; ils ne furent plus que des êtres spirituels temporels, destinés à opérer les différentes lois que le Créateur leur prescrivait pour l'entier accomplissement de Ses volontés. » (Traité, 233)
Et enfin pour souligner l’altération que subirent les classes des esprits angéliques émancipés :
« Il ne faut point entendre que les esprits qui habitent dans ce cercle [des esprits supérieurs dénaires] soient les mêmes, ni aucun de ceux qui ont été émanés dans la première place, immédiatement auprès de la Divinité. Non, Israël, les esprits dénaires divins ne sont jamais sortis de la place qu'ils occupent dans l'immensité divine : tout le changement qui leur est arrivé par la prévarication des esprits pervers et par celle du premier mineur, selon que je l'ai déjà dit, est d'avoir été assujettis au temporel, quoiqu'ils ne soient point sujets au temps. Le Créateur n'a donc émancipé dans le cercle dénaire de cet espace surcéleste que des esprits majeurs qu'il a revêtus d'une puissance dénaire.» (Traité, 241)
Aussi, la récompense qui sera donnée à tout bon aubergiste sera celle d'une réintégration de toutes les classes d'esprits dans leurs puissances et vertus originelles. Réintégration à laquelle l'homme réintégré participera au temps du second avènement et de la restauration de toutes choses, ayant lui même été renouvelé avant les légions célestes et même déifié, sa nature humaine étant ainsi élevée bien au-delà des états angéliques. En effet, n'est-il pas écrit que « les derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers» [4]
La question à méditer pour tout martinésiste chrétien est que ni le prêtre ni le Lévite ne se préoccupent du pèlerin mais seul le bon Samaritain. Ceci pour monter, comme l’a fait Martinès tout au long du Traité, que l'œuvre de réconciliation définitive n’a pu être opérée sous la loi ni par les patriarches. Que cette réconciliation n’était qu’imparfaite et non universelle car ne s’opérant que sur le peuple élu et non pas sur les gentils ou autres Samaritains. Et que donc, après les patriarches et prophètes, seul le Christ opéra et opère encore sa réconciliation sur l’entièreté du genre humain.
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[1] Lc 10, 25-37
[2] L’ange du Seigneur est bien le Christ, suivant l’appellation en usage dans les milieux judéo-chrétiens et chrétiens primitifs qui lui donnent aussi le nom d’Ange du Grand Conseil. Dans l’Ancien Testament il est considéré comme une manifestation du Christ, une christophanie avant l’incarnation. Il est dit de lui dans le psaume : « L’ange du Seigneur environnera ceux qui le craignent ; et il les délivrera. »(Ps 33, 8)
[3] Gn 9, 21 : ceci fera l’objet d’un futur billet
[4] Mt 20, 16